• LE BALADIN DE L'AMOUR EST MORT

    © Corinne SIMON/CIRIC

    Après avoir consacré sa vie aux plus démunis, le père Pedro Meca est décédé le 17 février dans sa 80e année.

     

    Mes Amis, aujourd'hui je n'ai rien à dire. Je vous partage,

    la vie d'un homme, un prêtre que j'ai rencontré en

    2009. Il est venu à la messe d'un homme mort dans la rue,

    un compagnon de la nuit. J'ai parlé avec lui très peu en

    notre langue espagnole. Je lui ai demandé son adresse.

     

    « C'était un compagnon de la nuit pour ceux qui n'avaient rien. C'était un mendiant. » C'est par ces mots que l'ordre dominicain, dont il était membre, a annoncé sa disparition. Né en 1935 à Pampelune, en Espagne, Pedro Meca vécut une enfance de misère et de délinquance. Une fois exilé en France, son activité dans les réseaux anti-franquistes lui vaudra une condamnation par contumace à 70 ans de prison, avant qu'il ne soit amnistié en 1978.

    En France, la rencontre d'un frère dominicain en 1956 éveille en lui la quête d'une vocation religieuse. Et c'est auprès des personnes les plus pauvres qu'il vivra l'essentiel de son ministère, notamment à travers l'association les Compagnons de la nuit. Il a travaillé de nombreuses années dans le centre « Le Cloître », à Paris, avant de créer, en 1992, le foyer « La Moquette », un lieu d’accueil pour des personnes sans- domicile.

    « Au Ciel, personne ne nous demandera le nombre de prières que nous avons récitées ni combien de cierges nous avons brûlés. On sera jugé sur nos rapports avec les autres. La question sera :“Qu’as- tu fait de ton frère ?” » Les propos de ce dominicain hors norme résument bien l'engagement qui fut le sien, au nom de la fraternité. De nombreuses associations, notamment le Collectif des Morts de la rue, ont bénéficié de son compagnonnage chaleureux. Ses obsèques seront célébrées ce samedi 21 février à 10 heures en la chapelle du couvent Saint-Jacques, à Paris.

    Pour rendre hommage à cet apôtre de la rue, nous republions ici un des reportages qui lui furent consacrés dans notre journal.

    Avec les pauvres Pedro Meca fête la Nativité (reportage publié en 2009)

    « Noël, c’est la rupture avec la religion comme désir de se relier au Tout-Puissant. Dieu vient à nous comme un mendiant, un enfant pauvre et nu. C’est la “toute-faiblesse” qui succède à la toute-puissance. » La finesse de l’analyse contraste avec la bonhomie du personnage. Avec sa barbe blanche hirsute, son foulard rouge autour du cou, son béret, son sourire rigolard et ses grosses lunettes, Pedro Meca, 74 ans, tient plus du Père Noël, de « Prof » ou du militant « anar » que du prêtre.

    Cette année encore, ce dominicain va célébrer Noël au milieu de centaines de sans-abri. Ou plutôt de 500 SDF et ADF mêlés. ADF, pour « avec domicile fixe », histoire de souligner l’absurdité de l’expression SDF : « Comme si on pouvait définir quelqu’un à partir de ce qui lui manque ! »

    Après des années à passer d’un lieu à l’autre, Notre Noël – nom de cette initiative née du Secours catholique, puis relayée par trois associations (le Cœur des haltes, Emmaüs Liberté et Compagnons de la nuit) – s’est posée voilà dix ans au musée des Arts forains, dans les anciens chais de Bercy, à Paris. Manèges, automates, salons vénitiens…, un décor féerique qui réveille en chacun son âme d’enfant. À commencer par celle de Pedro, toujours prêt à enfourcher un cheval de bois dans un grand éclat de rire… « Ces 4 000 mètres carrés sont là pour faire rêver, explique Jean-Paul Favand, fondateur et directeur du lieu. Et le rêve, c’est pour tout le monde, y compris les plus pauvres. Mon plaisir, je le trouve quand les invités de Pedro me disent qu’ils se sentent ici chez eux ! » Car le musée des Arts forains ne se contente pas d’ouvrir ses portes le soir de Noël pour cette messe suivie d’un repas festif. Les salariés mettent la main à la pâte, comme la centaine de bénévoles mobilisés pour l’occasion. « On reste pour faire la fête, explique Serge, régisseur général. On met notre propre famille en sourdine pour partager avec une autre famille. Et ce n’est que du bonheur… »

    Des histoires étonnantes, Notre Noël en regorge depuis dix ans. C’est cette femme sur le point de se jeter du haut d’un pont à côté du musée, qu’on amène à Pedro Meca juste avant la messe, qui décide d’y rester et en sort apaisée. Ou ces deux frères fâchés à mort – au sens strict du terme – qui se retrouvent face à face au musée ce soir-là et se réconcilient sur-le-champ. Ou encore ce bébé hurlant, que le prêtre prend dans ses bras et vers qui il tend le micro, histoire de rappeler à quoi ressemble un nourrisson comme l’était Jésus. Mais aussi cette journaliste ayant perdu son sac et, persuadée qu’il a été volé, qui exige du directeur qu’il lance un appel au haut-parleur et finit par découvrir, un tantinet gênée, qu’un des invités vient juste de le rapporter au vestiaire !

    La vie de Pedro Meca ressemble à cette histoire de crèche d’il y a un peu plus de 2 000 ans. Né à Villava, village basque proche de Pampelune, il n’a que quelques mois quand, en pleine guerre d’Espagne, son père meurt et sa mère s’exile en France. Son frère aîné est pris en charge par la famille, des gens riches ; le petit Pedro, lui, est recueilli par un couple qui vit de la mendicité. « Ils ne savaient ni lire ni écrire mais avaient l’intelligence du cœur. » C’est à cette « maman » qu’il doit le regard qu’il a appris à poser sur les autres. « Quand on mendiait en­semble, elle disait aux gens que j’étais le plus beau, le plus intelligent, le meilleur de tous… À ceux que je croise aujourd’hui et qui sont dans la merde, je ne dis pas la même chose – ils me répondraient : “Arrête de boire !” – mais je les regarde en cherchant ce qu’ils ont de beau. »

    C’est ainsi que ce religieux qui avoue ne pas bien savoir prier« sauf pour demander à Dieu de m’aider à aimer et à accepter les choses qui me tombent dessus comme si je les avais voulues » – est devenu contemplatif à sa manière : « Essayer d’adopter le regard de Dieu sur le monde et les gens. Chercher à voir briller la petite perle que chacun porte en lui. Et ce n’est pas toujours facile ! » Sa bonne humeur, sa verve et sa faconde le font aisément passer pour un bon vivant, un bien vivant. Mais la colère perce derrière la jovialité. « Je suis heureux, mais pas content ! », répète-t-il à l’envi. Heureux de goûter à la vie, au présent, aux rencontres… Mais pas content de ce qu’il voit et de la manière dont le monde tourne. Pas content du tout, par exemple, de l’actuel débat sur l’identité nationale et du rejet de l’autre qui s’y exprime. Même Noël lui a longtemps laissé un goût amer. « Depuis mon enfance, c’est un jour de colère : de la rue, je voyais tout le monde faire la fête, alors je balançais des cailloux aux fenêtres pour qu’on me donne quelque chose. » Colère à fleur de peau, un temps freinée par la culture catholique dominante du franquisme, résumée par le slogan « Par l’empire, vers Dieu ». Lui-même se rêve alors missionnaire, entre au petit séminaire, en est viré au prétexte qu’il n’a pas la vocation… Et comprend que, si on ne l’a pas fait plus tôt, c’est juste parce que les supérieurs s’inquiétaient de ce qu’il deviendrait en retrouvant la rue… « Depuis, je ne supporte pas la pitié. »

    Cette première rupture change le cours de sa vie. Exilé à son tour en France, il retrouve à Bordeaux sa mère biologique, qu’il n’a pas vue depuis dix-sept ans. Et découvre le monde des réfugiés républicains espagnols. « Des gens qu’on m’avait présentés comme des ennemis de Christ : j’ai compris qu’on m’avait menti. » Pour gagner sa vie, il se livre à la contrebande : tourons, alcools, cigarettes… La rencontre d’un dominicain lui fait prendre le chemin du couvent de Saint-Maximin, tout en continuant à fréquenter militants anarchistes et communistes. « On m’a même proposé de rentrer au PC en m’assurant que je serai en quelques mois au comité central. Et c’est ça qui m’a fait reculer. Quel que soit le pouvoir en place, il y aura toujours un exclu, et je serai forcément de son côté, donc dans l’opposition. C’est ma foi qui veut ça. » « J’ai tout appris du monde des pauvres », affirme Pedro Meca. Dans sa bouche, ça n’a rien d’une affirmation gratuite. D’ailleurs, il n’a longtemps connu que cet univers-là. « J’ai toujours porté des vêtements donnés par d’autres. Et tant qu’un pull n’a pas de tache, je me sens mal dedans ! », raconte celui qui, enfant, était surnommé « petacho » (« rapiécé »)

    Que ce soit avec les Gitans de Montpellier, les réfugiés républicains avec qui il partageait un squat à Pantin ou les habitants d’un bidonville de Madrid où il a vécu un an, c’est avec ces gens-là, sans les mythifier, qu’il se sent bien. « Je ne connais pas de fêtes aussi festives que celles des pauvres et des immigrés », explique-t-il, se réjouissant que « les sans-papiers, en occupant des églises, nous rappellent qu’elles sont des lieux d’accueil, et d’abord pour ceux qui sont dans le besoin ». Sa terre d’élection, ce sont les pauvres parmi les pauvres, ceux que Karl Marx qualifiait de« lumpenproletariat ». « Les premiers chrétiens étaient des “lumpen” et les Évangiles sont l’expression de ces communautés d’exclus. » Les plus belles avancées de l’Église ne sont-elles pas dues à ceux qui, comme saint François d’Assise, saint Dominique, l’abbé Pierre ou le père Joseph Wresinski, ont fait « le choix des pauvres » ? Il apprécie dans l’ordre dominicain « un esprit libre et adulte, qui ouvre tellement de fenêtres qu’il n’y a plus de murs ». Et son franc-parler ne l’empêche pas de reconnaître ce qu’il doit à l’Église : « Malgré les saloperies, c’est elle qui m’a transmis l’Évangile. »

    En 1975, il devient barman au Cloître, un bar du Quartier latin repris par l’association Vouloir vraiment vivre, créée par l’abbé Pierre. Le dominicain se mue en travailleur social. Il y prend tellement goût que, quand le bar ferme, neuf ans plus tard, Pedro décide de continuer seul ses pérégrinations nocturnes à la rencontre des sans-abri. Il ouvre en 1992 la Moquette, lieu de rencontre entre SDF et ADF. « Il n’y a pas des inclus d’un côté et des exclus de l’autre. Nous sommes tous dans la même société, tous dans la même galère ! » Trois fois par semaine, le local de la rue Gay-Lussac, dans le Ve arrondissement de Paris, propose jusqu’à minuit et demi des ateliers d’écriture, des débats, des revues de presse, des rencontres avec des artistes, des soirées anniversaires… sans que l’on distingue parmi les invités celui qui est « avec » de celui qui est « sans ». Albert Jacquard peut y disserter sur l’intelligence, et Michel Hidalgo, se livrer à des confidences pour transmettre cette part de rêve que porte le football.

    « La société idéale, pour moi, c’est un espace public où tout le monde se rencontrerait. Comme la place de mon village, où chaque adulte se sentait responsable de tous les enfants. » « À force de se pencher sur les pauvres, on leur tombe dessus ! » À la Moquette, on ne distribue ni lit, ni vêtement, ni nourriture, ni argent : il n’y a rien à négocier, donc rien à perdre. Et « pas de main qui donne au-dessus de celle qui reçoit ». Pedro Meca invite plutôt les habitués du lieu à donner un peu de leur temps, un peu d’eux-mêmes. Lors du mouvement social de décembre 1995, certains sans-abri ont distribué du café aux grévistes. D’autres, plus tard, ont parrainé des enfants de Kaboul. « Autant de choses qu’on ne pense jamais à leur demander. »

    Aujourd’hui, ce contemplatif dans l’âme est resté un hyperactif. À peine revenu de Barcelone, où il s’investit dans une ONG de soutien à l’Amérique latine, le voilà parti pour Grenoble rencontrerFemmes SDF, avant de filer sur Annecy superviser les travailleurs sociaux d’une association de protection de l’enfance. À Paris, il s’implique dans le collectif les Morts de la rue et préside Dyna’MO, une association d’insertion intervenant notamment dans la restauration.

    Noël n’est jamais de tout repos pour lui. Après la messe et le repas festif au musée des Arts forains, il filera à la Moquette finir la nuit en échanges jusqu’au petit déjeuner – « C’est le seul jour de l’année où l’on donne quelque chose à manger ». Puis enchaînera dans le XIIIe arrondissement au couvent Saint-Jacques, auquel il est rattaché mais où il n’habite pas, pour prêcher à ses frères dominicains. Sans oublier les longs préparatifs de la veille. Au final, « presque quarante-huit heures sans dormir ». Avec des moments de haute tension.

    « Tout est à fleur de peau ce soir-là. Il y a ceux qui réalisent à quel point ils sont seuls, ceux qui n’arrivent plus à se souvenir du nombre de leurs enfants… ça peut éclater d’un moment à l’autre. »Pour Pedro, s’ajoute l’angoisse de trouver un sermon à la hauteur de l’événement. Voilà deux ans, il avait expliqué, en partant du recensement ordonné par César Auguste, l’opposition irréductible entre deux logiques : la loi du chiffre et celle de l’amour. Cette année, il s’attachera sans doute à décrire la faiblesse du nouveau-né, « ce petit né de père inconnu ». Et pour qui, comme pour les autres, « il va être si dur de devenir un homme ».

     

    > Trois quarts de siècle au service des autres

    1935 Naissance à Villava, près de Pampelune.
    1952 Arrive à Bordeaux, vit de la contrebande.
    1956 Entre au couvent chez les dominicains.
    1962 Ordonné prêtre.
    1975 Devient barman travailleur social au Cloître, bar du Quartier latin.
    1992 Ouvre la Moquette, lieu de rencontre entre SDF et ADF.
    1999 Implante Notre Noël au musée des Arts forains.
    2015 Décès

     

     

     

     

    Merci Ami Pedro, merci de ta simplicité pour dire

    l'Amour avec des faits concrets et simples.

    Donnez-nous l'envie de continuer ton chemin.

     

     

     Pedro Meca, mon frère et mon ami...

     

     

     

     

    Pedro Meca, mon frère et mon ami...

     

     

     

    Pedro Meca, mon frère et mon ami...

     

     

     

     

    Pedro Meca, mon frère et mon ami...

     

     

     

     

    Pedro Meca, mon frère et mon ami...

     

     

     

     

    Pedro Meca, mon frère et mon ami...

     

     

     

     

    Pedro Meca, mon frère et mon ami...

     

     

     

     

     

     

    L'AMOUR EST JUSTE

     

     

    FAIT

     

     

     

    POUR LE DONNER,

     

     

     

     

    POUR LE RECEVOIR

     

     

     

     

     

    LE BALADIN DE L'AMOUR EST MORT

    « JE CONSTATE LA PEUR DU PAUVREChrétiens d’Orient : « Chut, on tue ! » »
    Partager via GmailGoogle Bookmarks Pin It

    Tags Tags : , , , , , ,
  • Commentaires

    1
    Jeudi 5 Mars 2015 à 09:19

    Bonjour Ana, bel article sur cet homme qui a vécu pour donner de l'amour à son prochain...

    Bon jeudi, gros bisous ...

    • Nom / Pseudo :

      E-mail (facultatif) :

      Site Web (facultatif) :

      Commentaire :


    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :